"Dons de mémoire" 2014-199 : archives de la famille Gaudron

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"Dons de mémoire" : collecte d'archives privées sur la Grande Guerre

Présentation du contenu

Marie-Christine Gaudron a fait don aux Archives départementales de la Somme d'un ensemble de documents familiaux sur la Grande Guerre ayant appartenu à deux cousines de son arrière-grand-mère, Irma et Louise Bornay. Marie-Christine Gaudron a profité de l'opération "Dons de mémoire" pour sauver ces archives de l'oubli et éviter qu'elles ne viennent à disparaître.

Ce fonds est principalement composé d'une dizaine de cahiers d'écoliers manuscrits qui relatent au quotidien la guerre vécue par les habitants de Lille de juillet 1914 à juillet 1919. Ces carnets étaient tenus par deux soeurs, Irma et Louise Bornay, fille d'un pharmacien lillois, Léon Bornay dont l'officine se trouvait 26 rue des Stations.

Il s'agit là d'une chronique de la Grande Guerre, rapportée avec sérieux et application par deux jeunes filles, âgées de 19 et 21 ans en 1914. Ces cahiers ont été tenus quotidiennement et donnent de brèves descriptions, très objectives, plus ou moins détaillées, sur la vie des populations civiles à Lille et dans ses environs sous l'occupation allemande. On y retrouve aussi bien la météo du jour, que la descriptions des bombardements, le survols des Tauben, le prix des denrées alimentaires, les comportements de l'occupant comme des habitants, les peurs et les angoisses, les joies, les privations, etc.

Chronique de la Grande Guerre à Lille rapportée par deux jeunes civiles, Irma et Louise Bornay. Cahier n° VI du 1er mars 1917 au 16 avril 1917

Cote/Cotes extrêmes

134J214 (Cote(s))

Date

1er mars 1917 - 16 avril 1917

Organisme responsable de l'accès intellectuel

Archives départementales de la Somme

Caractéristiques physiques

cahier

Particularité physique

Couleur
Papier

Origine

Bornay Irma (1893-1977) ; Bornay Louise (1895-1992)

Biographie ou Histoire

Le berceau de famille des demoiselles Bornay est Cassel (Nord) où elles sont enterrées, mais elles sont nées et décédées à Lille. Irma (14 Avril 1893 1er mai 1977) et Louise (5 Août 1895 1er août 1992) habitent durant la guerre chez leurs parents 26 rue des Stations à Lille. Leur père Léon Bornay est pharmacien. Il est marié à Honorine Meneboode (1863-1931).

Ces cahiers ont été rédigés en grande partie par Irma Bornay.

Présentation du contenu

Quelques extraits du cahier :

- Jeudi 1er mars [1917] : Ce matin nous avons le chagrin d'apprendre le décès de mon oncle Lucien, quoique son état nous paraissait inquiétant nous sommes très surpris de sa mort si subite. Ce triste événement rembrunit notre esprit et nous rend profondément chagrines et moroses. Nous nous rendons chez lui dans la matinée par un temps splendide qui nous occasionne de fréquentes incursions d'avions alliés. Nouvelles de la guerre de meilleures en meilleures.

- Mardi 13 mars [1917] : A Lambersart et dans d'autres communes, les Allemandes enlèvent les cloches et les cuivres. A Lille ils enlèvent chez les brasseurs tous les tonneaux, les moteurs, et réquisitionnent un grand nombre de voitures chez les commerçants. Aujourd'hui il n'est question que de Bapaume et de Bagdad. Mais nous avons un étrange microscope pour les événements de guerre, une petite défaite française nous paraît formidable, une victoire de nos armées insignifiante malgré son importance. Une boule de fil vaut maintenant 1 f 25 (au lieu de 0 f 30), le lait : 5 frs la boîte, le beurre : 28 frs le kilo, les poules et poulettes de1 à 2 kilos se vendent 28 f 30 et 35 frs pièce.

- Lundi 19 mars [1917] : Il est prouvé qu'hier le Kaiser est venu à Lille et Roubaix avec Hindenburg et un généralissime turc. Un temps de mars nous prodigue giboulées, rafales de vent et de neige. La lutte d'artillerie est faible et de temps en temps la mitrailleuse crépite. Cette après-midi une dame se présente à la maison. Nous ne pouvons déchiffrer son identité et ce n'est qu"à l'énoncé de son nom que nous reconnaissons en elle la mère de Jules B. Nous la faisons rentrer afin qu'elle nous raconte par quel prodigieux hasard ses pas l'ont conduite vers nous. Emue jusqu'aux larmes, elle nous conte son odyssée. Evacuée le 10 janvier de Fampoux où elle vivait depuis 1914 sous un bombardement parfois terrible, elle vint échouer il y a huit jours à Wattrelos. En effet, les Allemands évacuèrent ainsi 350 habitants soi-disant pour la France, leur faisant payer leur voyage en monnaie d'Etat, munis de 30 kilos de bagages trois jours de vivres et pas un seul morceau de papier. Arrivés à Biache Saint Vaast, ils furent campés non loin de là dans des maisons abandonnées, couchés sur des planches, on leur rendit aussi leur argent en bons d'émission. Après 6 semaines de souffrances, les Allemands les embarquèrent dans un train sans destination. Ils furent surpris d'arriver à Roubaix d'où ils furent ensuite dirigés vers Wattrelos où ils sont actuellement logés chez l'habitant. Ces malheureux sont ruinés pour toujours, ayant tout abandonné, mobilier, argent, à la destruction, au pillage et au feu. Son récit bref, concis et précis ne laisse pas de nous impressionner douloureusement. Les anecdotes, les tableaux dont elle émaille sa conversation excitent au vif notre intérêt et rejetant pour un moment nos plaintes et nos gémissements. Nous adressons au Divin Maître un remerciement de nous avoir quelque peu épargné les horreurs de la guerre et nous implorons plus que jamais sa protection pour cet avenir dont l'approche nous fait frémir de crainte, car déjà circule en ville le bruit fantastique de l'évacuation de Lille.

- Jeudi 22 mars [1917] : Temps glacial, le sol est blanc, la neige tombe en abondance, aussi seulement 1 ou 2 Tauben. Le mouvement de troupes est extraordinaire, la Bohême est en grand branle-bas. La place de la Gare ressemble à la cour d'un sérail. Les caissons font une halte pour donner la nourriture aux chevaux et le foin couvre le sol. Des groupes de soldats passent, beaucoup ont l'air harassé et s'aident d'une canne pour marcher. Fives, Hellemmes, sont encore une fois remplis de soldats.

- Mercredi 4 avril [1917] : Toute la nuit les maisons sont ébranlées par des éclatements d'obus provenant d'une canonnade que nous n'entendons pas. A 2 heures nous voilà brusquement réveillées par une explosion formidable et proche, un moment après une seconde moins violente éclate à son tour. Il se peut que ce soit des bombes car ces jours derniers il en tomba à Croix. Nous sommes littéralement étourdis par des nouvelles fantasques qui se racontent en ville. En voici quelques échos. Des affiches qui sèment la terreur sont subitement apparues dans les localités extra-muros (Canteleu, Loos, Ronchin, La Madeleine), elles obligent les femmes de 18 à 45 ou 50 ans (l'âge variant suivant la commune) à se faire inscrire. Que réserve cette nouvelle formalité ? Il est aussi question d'une nouvelle inscription pour les hommes de 17 à 52 ans, les contraignant à des revues d'appel fréquentes. Les écoles seront de nouveau fermées par ordre allemand. Beaucoup de troupes dans toutes les communes avoisinantes, à Lille les maisons abandonnées par des personnes récemment évacuées en France sont immédiatement occupées par l'armée. Je vais trouver Mademoiselle M. à propos de mon inscription, elle ne peut rien pronostiquer mais l'espoir n'est pas grand de réussir. Une agitation fébrile provoquée par les affiches et l'inquisition des cuivres s'empare de tout le monde. Dans un certain nombre de maisons les Allemands découvrent des cachettes contenant des objets prohibés. Les amendes pleuvent sur les propriétaires (Mr Binauld, 300 marks), chez Lecoq rue Colbert ils soulevèrent des planchers sous lesquels se trouvait une quantité de vins. Chez d'autres personnes ils prirent des vivres. Ches Madame B. boulevard Vauban, ils dénichèrent le coffre emmuré, le déclarèrent sous séquestre et prirent aussi des coffrets contenant des bijoux. Monsieur Loubert est condamné à 10 marks d'amende parce que sa voiture avait une vitesse exagérée dans une rue de Tourcoing. Le Comité s'inquiète, les bateaux se font attendre et les stocks baissent, aussi il nous fait une maigre distribution : biscuits (4), oeufs (3), choucroute (0 f 15), et un chou. Cette après-midi distribution de lard salé. Toute la journée domine un roulement britannique sans interruption jusque très tard dans la soirée.

- Lundi 16 avril [1917] : Le temps pluvieux avec vent intermittent met une sérieuse entrave à l'aviation. Une seule escadrille profite d'une éclaircie ce matin pour venir faire une courte expédition comme en témoignent les rares projectiles qui éclatent au ciel. Les nouvelles qui nous parviennent sur les résultats obtenus en Artois sont excellentes. Aussi une joie délirante s'empare par moments des soupirants envahis. Les yeux fixés sur une carte ayant au moins une échelle géographique, nous suivons pas à pas nos troupes progressantes et sans cesse nous mesurons les distances qu'il leur faut encore parcourir avant de nous atteindre.. La délivrance serait si belle pour nous que parfois nous taxons d'irraisonné et de fou l'espoir que nous caressons de redevenir bientôt Français. D'après les dires de beaucoup de personnes, Roubaix, Croix, Mouvaux, Wattrelos etc.. reçoivent chaque jour des évacués venant du secteur Arras-Douai.

Langue des unités documentaires

Français