Une famille amiénoise victime de la Shoah : archives de la famille Schulhof-Lévy (134J10)

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Date

1918-1944

Organisme responsable de l'accès intellectuel

Schulhof Hirtz, Ginette

Description physique

8 articles numérisés représentant 55 images

Modalités d'entrées

Depuis des années, David Rosenberg, historien et ancien archiviste et coordonnateur de la Coalition Urgence Darfour Pittsburgh, se rend à Amiens, en France, pour faire des recherches historiques sur le mouvement protestant dans la ville aux XVIe et XVIIe siècles.
Puis, durant l'été 2011, David Rosenberg s'est retrouvé très impliqué dans un autre projet en vue de commémorer les Juifs d'Amiens qui ont été déportés pendant l'occupation entre 1940 et 1944.
Ce projet s'est principalement construit en collaboration avec Guy Zarka, président de la communauté juive d'Amiens, Cécile Marseille, conseillère municipale de la ville d'Amiens, chargé de la liaison avec les groupes d'anciens combattants et les organisations représentant les victimes de la Seconde Guerre mondiale.
A partir de cette collaboration a émergé l'idée de constituer une collection d'archives concernant l'histoire de la communauté juive dans la Somme. David Rosenberg a recensé et sélectionné de nombreux documents issus de collections publiques ou privées. Ces archives ont été numérisées et mises en ligne par les Archives départementales de la Somme, pour servir l'histoire de la communauté juive dans la Somme.

Présentation du contenu

Le 19 novembre 2012, Ginette Schulhof Hirtz a reçu Olivier de Solan, directeur des Archives départementales de la Somme, et Guy Zarka, président de l'Association cultuelle israélite de la Somme (ACIS). Lors de cette rencontre, Ginette Schulhof Hirtz a raconté son histoire et celle de sa famille, et parlé du "deuil impossible" de ses parents, Raymond et Lucie Schulhof, déportés et exterminés à Auschwitz en janvier 1944.
Le 4 janvier 1944 au matin, la Gestapo procède à l'arrestation des derniers Juifs d'Amiens. Ginette, la fille aînée, sa soeur, Jacqueline, et leur petit frère, Pierre, parviennent à prendre la fuite par les toits de la maison sise 14 rue Albéric de Calonne. Les parents, Raymond et Lucie Schulhof, ainsi que Louise la grand-mère maternelle et le petit Georges, le fils adoptif d'origine autrichienne, sont arrêtés, transférés à Drancy, puis déportés par le convoi 66 du 20 janvier 1944, vers le camp d'extermination d'Auschwitz.
Ginette Schulhof Hirtz a autorisé les Archives départementales de la Somme à photographier et à diffuser les quelques archives familiales qu'elle conserve précieusement dans une petite valise ayant appartenu à son père, pour témoigner et ne pas oublier. La maison rue Albéric de Calonne ayant été détruite par des bombes incendiaires, il ne reste finalement que peu de souvenirs matériels de cette époque : un album contenant des photographies des années "heureuses" d'entre deux guerres, une carte d'identité falsifiée qui sera un sauf-conduit pour Ginette, quelques papiers administratifs, des coupures de presse, mais surtout deux lettres poignantes et émouvantes écrites les 20 et 21 janvier 1944 par Raymond et Lucie Schulhof alors embarqués dans un wagon à bestiaux vers leur destin tragique et leur extermination à Auschwitz.
Ginette Schulhof Hirtz a raconté le tragique destin de sa famille dans un livre "Les hortillonnages sous la grêle. Histoire d'une famille juive sous l'occupation", paru en 1982 aux Editions du Mercure de France.

Lettre de Raymond Schulhof et Lucie Lévy écrite le 21 janvier 1944, dans un wagon du convoi de déportation vers le camp d'Auschwitz

Cote/Cotes extrêmes

134J10 (Cote(s))

Date

21 janvier 1944

Organisme responsable de l'accès intellectuel

Ginette Schulhof Hirtz

Caractéristiques physiques

Manuscrit

Particularité physique

Couleur / Noir et blanc

Dimensions

15 x 21 cm

Présentation du contenu

Il s'agit de la dernière lettre de Raymond et Lucie Schulhof écrite à l'attention de leurs enfants. Cette lettre de quatre pages a été écrite dans le wagon du convoi n° 66. Trois pages sont de la main de Raymond et une page de la main de Lucie.

La lettre originale a été photographiée par les Archives départementales de la Somme le 19 novembre 2012 avec l'autorisation de Ginette Schulhof Hirtz. Une copie sur papier photo a également été reproduite.

Une transcription de cette lettre a été réalisée. Certains mots pour lesquels un doute persiste, certains mots non déchiffrés et certains passages effacés sont indiqués entre [crochets].

Raymond Schulhof écrit :

le 21/1/44,

Nous sommes arrivés ici le soir même à 23h après un bon voyage au cours duquel la femme de [Léo] nous a tous plaqués ! Bonne atmosphère ici où Louise a retrouvé quantité de copains dont la [soeur] de [Vitz] en très bon état ainsi que le [môme] Claude, etc. etc.

La nourriture est fort copieuse et très suffisante, deux fois par semaine un quart de pinard, une fois un oeuf dur, une autre de la viande. Puce et Papy sont aux patates tous les matins de 8h à [...]h, cela leur fait les pieds.

Bien entendu, il est question d'un départ imminent et auquel nous n'échapperons certainement pas. Nous serons en bonne compagnie avec de braves gens de l'Est, les [Ferdinand] ! et un personnage militaire important que nous avions reçu il y a 20 ans à la maison.

Quel mélange d'individus autour de soi, tu dois te rappeler [vieille Zaza], à cet égard rien n'a dû changer.

Je suis sûr que vous avez organisé votre petite vie et que vous saurez vous en tirer jusqu'au bout, qui ne doit plus être très loin à en juger les bobards qui circulent depuis que nous sommes ici.

Vous êtes entourés de tant de bons amis que réellement, nous n'avons aucun souci en ce qui nous concerne et n'avons plus qu'à penser à nos carcasses.

Ils vous faudra beaucoup de patience et peut-être vous sera t'il possible de venir nous retrouver dès que les hostilités seront terminées. Le voyage dans ce sens paraissant devoir être plus facile que dans l'autre sens où il y aura beaucoup [d'amateurs].

Vous voudrez bien dire à [...] qu'il fasse au mieux [...] conserve qu'un 1/4 en papier, ce qui me paraît sage. [...] au sujet des produits dont vous pourrez avoir besoin, ils ne vous laisseront pas tomber. [...] auxquels vous pouvez aussi vous adresser.

Je pense que tiot René aura pu sauver pas mal de choses dont celles qui vous sont indispensables et si seulement ils avaient pensés à tes notes et tes bouquins, vieille [Mimi]. Et toi vieux [Feyot] pas de chance avec tes jouets une fois encore abandonnés ! On se rattrapera bien vite, vous verrez. Gardez surtout un moral excellent. Vous savez bien que c'est moins dur une fois qu'on est dans le bain.

Remerciez bien les Philippe, Léon, Michel, Lucien, Eugénie et Yvonne, dont l'attitude nous a fait tant de bien au moment de notre départ. Mille mercis aussi à Louis et sa digne épouse qui n'ont pas manqué de vous entourer et de vous aider j'en suis sûr.

N'attendez plus d'autres nouvelles afin de ne pas être déçus et vous ne doutez pas, n'est ce pas, que nous allons partir avec le sourire... et à la française.

Tendres baisers, toutes nos pensées sont avec vous et tous nos amis. Dites à Eva et à Jean toute notre affection. Je pense encore bien souvent à lui qui doit moins bien supporter tout cela.

Lucie Schulhof écrit à la suite de son mari :

Ne vous faites surtout aucun souci pour nous, on n'exagère vraiment quand on est de l'autre côté. Je m'en rends compte maintenant et même là-bas nous serons seulement malheureux d'être ici si loin de vous. Certainement les conditions matérielles sont les mêmes qu'ici.

Les gens qui vous entourent sont charmants et dans le wagon nous avons le droit de choisir nos compagnons de voyage, un vrai train de plaisir.

Je ne me fais pas trop de souci, notre grande Gigi sera la maman et je sais que vous êtes entourés par de bons amis qui nous remplaceront j'en suis sûre.

Remerciez-les de ce qu'ils font pour vous. Et puis, je suis tellement sûre que nous nous reverrons bientôt.

Mémère est épatante, du reste tous sont courageux. La jeunesse danse le swing tous les soirs et chante en faisant les pluches. Papa ne fait pas grand chose, une patate à l'heure. La maman de Zozo est partie il y a un mois avec Jean et tous les collègues de Papy.

Surtout, ne pensez pas que nous sommes malheureux et ne vous privez de rien.

C'est [Feyot] que je charge de vous embrasser comme je voudrais tant le faire.

Pussy

Lucie Schulhof ajoute dans la marge ces quelques mots :

Il fait une chaleur étouffante, il y a le chauffage central qui marche à fond de train. Lumière jusqu'à 10h.

Que Léon ne s'étonne pas s'il reçoit de divers côtés un conseil que Papy répète encore dans cette lettre.