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"Dons de mémoire" : collecte d'archives privées sur la Grande Guerre
Présentation du contenu
Marie-Christine Gaudron a fait don aux Archives départementales de la Somme d'un ensemble de documents familiaux sur la Grande Guerre ayant appartenu à deux cousines de son arrière-grand-mère, Irma et Louise Bornay. Marie-Christine Gaudron a profité de l'opération "Dons de mémoire" pour sauver ces archives de l'oubli et éviter qu'elles ne viennent à disparaître.
Ce fonds est principalement composé d'une dizaine de cahiers d'écoliers manuscrits qui relatent au quotidien la guerre vécue par les habitants de Lille de juillet 1914 à juillet 1919. Ces carnets étaient tenus par deux soeurs, Irma et Louise Bornay, fille d'un pharmacien lillois, Léon Bornay dont l'officine se trouvait 26 rue des Stations.
Il s'agit là d'une chronique de la Grande Guerre, rapportée avec sérieux et application par deux jeunes filles, âgées de 19 et 21 ans en 1914. Ces cahiers ont été tenus quotidiennement et donnent de brèves descriptions, très objectives, plus ou moins détaillées, sur la vie des populations civiles à Lille et dans ses environs sous l'occupation allemande. On y retrouve aussi bien la météo du jour, que la descriptions des bombardements, le survols des Tauben, le prix des denrées alimentaires, les comportements de l'occupant comme des habitants, les peurs et les angoisses, les joies, les privations, etc.
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Date
Organisme responsable de l'accès intellectuel
Caractéristiques physiques
Particularité physique
Origine
Biographie ou Histoire
Le berceau de famille des demoiselles Bornay est Cassel (Nord) où elles sont enterrées, mais elles sont nées et décédées à Lille. Irma (14 Avril 1893 1er mai 1977) et Louise (5 Août 1895 1er août 1992) habitent durant la guerre chez leurs parents 26 rue des Stations à Lille. Leur père Léon Bornay est pharmacien. Il est marié à Honorine Meneboode (1863-1931).
Ces cahiers ont été rédigés en grande partie par Irma Bornay.
Présentation du contenu
Quelques extraits du cahier :
- Samedi 30 mars [1918] : Pas de lutte d'artillerie cette nuit. Le mouvement militaire nocturne est très remarquable, par hasard un court défilé de voitures souille notre rue cette nuit. Pluie diluvienne. Les nouvelles publiées par les Allemands sont moins alarmantes, un peu de calme renaît parmi le civil. Les hôpitaux sont bondés de blessés. Les Allemands réquisitionnent toutes les écoles et font évacuer subitement l'Hospice Général de tous ses pensionnaires. On crit qu'ils s'emparent de tous ces immeubles publics pour en faire des Lazaretts.
- Jeudi 4 avril [1918] : La ville reste criblée d'Allemands jour et nuit. Le passage des troupes est ininterrompu, l'artillerie défile sans arrêt dans les rues du centre. Ces jours derniers plusieurs centaines de prisonniers sont promenés en ville. Les Allemands font demander un grand nombre de lits d'hôpitaux.
- Mardi 9 avril [1918] : Vers 11 heures cette nuit [23 heures] un vacarme assourdissant nous réveille. L'allée et venue de soldats dans les rues, les lueurs des lampes électriques qui s'agitent puis les coups frappés aux portes des habitants nous intriguent et nous ne tardons pas à nous rendre compte qu'on établit un logement de nuit. Soudain notre sonnette d'agite, la porte est brutalement secouée et il nous reste à répondre à l'appel. "C'est pour du logement", dit le sous-officier. Nous répondons : "Nous en avons à loger". "Peu importe ils coucheront par terre, c'est suffisant. Du reste il nous faut voir la chambre". Après avoir visité la chambre, il déclare que nous en aurons trois à loger. Jusqu'à minuit le tumulte est grandissant, la nuée de soldats surgit dans les rues, circule bruyamment et cherche à se caser. Enfin le calme se rétablissant nous nous recouchons. Les soldats annoncés n'apparaissent pas et notre sommeil n'est interrompu que par un très étrange tir d'artillerie. Notre quartier est criblé de soldats qui fourmillent dans les rues, presque toute la ville a du logement. Fives, Saint Maurice et Hellemmes en sont bondés aussi. Place des Halles la musique donne une audition tandis que des fantassins défilent rue Solférino et rue Nationale, sans interruption d'une seconde. Des défilés d'une longueur interminable s'entrecroisent en tous sens nuit et jour. Nos oreilles retentissent du bruit assourdissant et monotone des voitures à roues ferrées. Les nouvelles de guerres ont de plus en plus déplorables; les Lillois sont si persuadés de la défaite des Alliés, aussi les Allemands montrent leur joie d'être victorieux et ne parlent que de leurs avances continuelles et méthodiques. Ils annoncent avec fracas une prochaine offensive dans le secteur du front qui nous enceint. Jeanne d'Arc est descendue de son piédestal. Pour s'en emparer ils scièrent les pieds du cheval la hauteur des abots et le bronze doré vint s'abattre lourdement sur le socle de pierre qui entoure la statue. Elle fit une chute si terrible que la tête de Jeanne d'Arc s'enfonça dans la pierre qui gardera pour toujours l'empreinte de la tête de l'héroïne. A son tour Testelin disparaît à nos yeux derrière la toile qui servira à l'exécution capitale de ce monument.
- Lundi 22 avril [1918] : Canonnade rude et perceptible toute la nuit. Temps triste et brumeux. Le régiment perruche qui loge dans le quartier s'en va ce matin. Le Kaiser est arrivé à Lille hier et aujourd'hui il a passé les troupes en revue à l'Esplanade. Les Allemands exigent que la ville répare la Préfecture, fasse remettre les vitres et fonctionner la pendule détruite en 1914. A La Madeleine ils ont réquisitionné les draps de lit e les couvertures de laine. Comme aviation, rien que des Tauben. Au soir nous percevons une canonnade.
- Samedi 18 mai [1918] : Les avions deviennent la terreur du public, non sans raison; beaucoup de personnes deviennent malades de frayeur. A une heure cette nuit, un tir violent nous force à descendre à la cave, et pendant un quart d'heure la mitraille pleut dans les rues, les morceaux d'obus gisent à nos portes. Deux obus non éclatés sont tombés dans notre quartier, un rue des Stations, au coin de la rue Meurein, un rue de Solférino. La température est très élevée, quelle souffrance pour nous que la guerre, par suite de l'affaiblissement les malades deviennent légions. Tirs incessants en banlieue, vers le soir une séance au-dessus de la ville, la mitraille pleut; les Tauben sont actifs aussi. Cette après-midi cour des Bourloires, revue des hommes convoqués.
- Lundi 24 juin [1918] : Quelle nuit nous avons vécue ! De 11 heures à 2 heures sans arrêt, un tir qui atteint le paroxysme de la violence nous effraie beaucoup. L'avion allié ne cesse de bourdonner sa si harmonieuse musique et au dire des audacieux qui regardèrent le firmament que le phare scrutait en tous sens, l'aéroplane voyageait tout illuminé, bravant les obus qui éclataient non loin de lui. Nous eûmes une audition de guerre des plus bruyantes. Des obus non éclatés sont tombés en ville sans occasionner de dégâts. Aujourd'hui, lutte lointaine. A Hellemmes et Ronchin les Allemands ont réquisitionné et coupé tous les plants de rhubarbe. Une affiche règle les conditions imposées pour le mariage des civils français avec les occupants militaires ou civils (Bulletin n° 378). Nous avons la chance de retrouver quelques pièces de linge égarées en février dernier à Lommes. Voici maintenant que les soldats ont presque tous des chemises en papier et les bochesses même des robes. L'Eglise fait faire une semaine extraordinaire de prières ordonnée par le Souverain Pontife au monde entier en vue de la paix. Immédiatement un petit espoir tressaille parmi le public qui croit apercevoir la fin de nos malheurs avant l'hiver prochain que nous n'oserions vraiment affronter avec la pénurie actuelle et croissante de vivres et de vêtements.
- Lundi 22 juillet [1918] : Très mauvaise nuit. De 11 heures à 2 heures nous subissons de violentes et successives séances de tirs contre avions. Les canons crachent obus et mitraille dans les rues de la ville. Au cours de la journée les visites aériennes se renouvellent fréquemment et on nous raconte qu'un obus vient troubler dans son éternel sommeil un défunt couché dans un caveau du cimetière de l'Est, un autre projectile échoue sur le pignon d'une maison de la rue Mourmant. Arrivés hier pour un repos qu'ils espéraient de longue durée, les soldats partent soudain cette après-midi pour un long voyage, à en juger par la distribution de 4 jours de vivres qu'on leur fait. Les nouvelles de guerre s'améliorent, voici que les Allemands annoncent l'abandon de Château-Thierry et la perte de 2 000 de leurs hommes prisonniers et de plus de 400 canons. Enfin après dix jours de démarches nous obtenons gain de cause et le soldat nous rapporte à midi la petite bascule. Les équipes réquisitionnant les laines évoluent dans le quartier en divers endroits et notre tour approche.
- Jeudi 15 août [1918] : Toute la nuit lutte d'artillerie assez vigoureuse. Pendant la journée la lutte s'intensifie. Les Allemands transportent beaucoup de lourds canons sur tracteurs vers le front, les ambulances et les trains sanitaires traversent la ville et les lazaretts sont pleins de blessés. Rue Nationale un régiment passe en musique, tout nous prouve qu'un combat est imminent dans notre secteur. Le service des tramways devient très défectueux, le fonctionnement en est restreint, les parcours modifiés, certaines rues réservées aux tramways requis par l'autorité militaire. Les jours de fête sont pour nous des jours très tristes, nous souffrons cruellement de l'ennui, de l'exil et de la captivité. Plus que les autres jours notre ville mérite d'être appelée "Lille la Morte". La distribution des feuilles de départ dans notre rue nous assombrit considérablement. Une affiche donne connaissance de l'horaire du voyage, des conditions imposées.
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